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LÉGISLATION DE LA PÊCHE EN AFRIQUE : Des textes signés, mais peu appliqués

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LÉGISLATION DE LA PÊCHE EN AFRIQUE : Des textes signés, mais peu appliqués

Naoufel Haddad
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Par André NAOUSSI, à Dar es Salaam (Tanzanie)

Que faire pour que les pays africains tirent pleinement avantage des textes mondiaux sur la pêche, qu’ils signent avec enthousiasme sans pour autant les appliquer convenablement ? Des pistes de solutions ont été défrichées du 28 au 30 mars 2022 à Dar es Salaam en Tanzanie, au cours d’une réunion consultative initiée par l’Union africaine à travers son Bureau interafricain des ressources animales (UA-BIRA).

À l’exception de trois, tous les 54 États africains ont paraphé le texte international considéré comme emblématique dans le domaine de la pêche : la Convention des Nations Unies sur la loi de la mer (connue sous son acronyme anglais ‘’UNCLOS’’ : United Nations Convention on the Law of the Sea), adoptée en 1982 et entrée en vigueur en 1994. Quid de sa ratification par les instances nationales et de leur incorporation dans les lois ? La barre descend en-dessous de 30 pays. Phénomène paradoxal, mais constat identique pour divers autres textes au niveau mondial, continental ou régional.

L’une des ambitions de la deuxième phase du projet de gouvernance des pêches en Afrique (baptisée ‘’FishGov 2’’, 2021-2025) est donc de ‘’renforcer la domestication des instruments mondiaux dans la gouvernance de la pêche et de l’aquaculture en Afrique’’ ; c’est la première concertation dans ce sens qui s’est tenue à Dar es Salaam. Les débats se sont focalisés sur l’urgence d’accompagner les États dans les étapes de cette domestication, «en leur montrant leur propre intérêt d’abord, avant celui du continent», comme le souligne Obina Anozie, expert en questions de pêche africaine.

Avantages nombreux

Il ressort effectivement des analyses que de nombreux avantages sont offerts aux pays qui ratifient certains instruments mondiaux et les mettent en pratique. À l’instar de l’Accord de la FAO sur les mesures du premier pays du port d’accès de tout bateau de pêche, adopté en 2009 (‘’PSMA : Port State Measures Agreement’’). L’accompagnement aux États concerne entre autres l’appui à la surveillance des côtes et des eaux territoriales, la lutte contre les pirates, l’évaluation et la protection des stocks, le partage d’informations. Aux quatre coins de la planète les gouvernements le ratifient ; en Afrique, à peine vingt pays jusqu’à présent.

Harmoniser les procédures

Non seulement les ratifications des textes internationaux suivent un rythme lent, en plus les États qui franchissent le pas appliquent leur législation sans se soucier de la réalité des voisins. «Or, le poisson ne connait pas les frontières ; et les pirates non plus», souligne Bernerd Fulanda, enseignant à l’Université de Nairobi au Kenya. À défaut d’harmoniser les procédures, il faut à tout le moins les simplifier, «pour fixer des démarches minimales communes à l’ensemble des pays du continent». Tout en évitant ce que l’expert gabonais Georges Mba-Asseko décrit comme «une propension à signer davantage des instruments généraux que ceux spécifiques à la pêche».

La mutualisation des textes doit s’étendre à celle des moyens pour le contrôle et suivi des activités de pêche, le renforcement de la recherche scientifique et le partage de ses résultats, la défense des intérêts des communautés locales, la protection des ressources pour une gestion qui tienne compte des besoins des générations futures… Les pays africains sont ainsi exhortés à privilégier les textes qui cadrent le mieux avec leurs intérêts, leurs besoins et leur environnement.

D’où l’importance d’accorder leurs violons pour la participation aux rencontres internationales où se négocient l’adoption, la modification, et surtout les modalités d’exécution des textes internationaux. Dans ce sens, l’on loue les actes posés par la COMHAFAT (Conférence ministérielle sur coopération halieutique entre États africains riverains de l’Atlantique), qui appuie des concertations pour ‘’une voix unique de l’Afrique’’ et prend en charge la présence de délégués africains dans des cercles comme la Conférence baleinière internationale (CBI), la Conférence internationale sur la pêche (COFI), ou la Conférence sur les thonidés de l’Atlantique (ICCAT).

Forum biennal      

Le faible taux de ratification des instruments mondiaux, relevé aussi bien dans l’expérience des États que dans la présentation des organisations régionales de pêches, en dit long sur le chemin qui mène à leur domestication. Mfodwo Kwame, juriste spécialiste des pêches, en a dressé un tableau fortement illustré, avec des pistes de solution portant sur la priorisation des textes, l’élaboration de codes de conduite continentaux, le renforcement et la multiplication des outils  de lobbying  tels que plaidoyer, réseaux sociaux, médias et communication (sur ce point, le projet FishGov 2 entend faire partenariat avec le réseau de l’OMPDA – Observatoire des Médias pour une Pêche durable en Afrique).

Pour coordonner et évaluer les actions de domestication, un forum est désormais créé, avec des représentants des États, de la société civile, des centres de recherche, du secteur privé. Placé sous l’égide de l’UA-BIRA, il contribuera à une meilleure visibilité du Cadre politique et de stratégie de réforme de la pêche et de l’aquaculture en Afrique, adopté par le Sommet de Malabo en 2014. L’instance se réunira tous les deux ans au plan continental, mais les évaluations sectorielles seront semestrielles au sein des organisations sous régionales.

PAROLE À QUELQUES PARTICIPANTS…

Mohamed Seisay, Spécialiste des Pêches au Bureau Interafricain des Ressources animales de l’Union africaine (UA-BIRA) :

«Des plaidoyers bénéfiques à tous »

«Tous les pays africains recevront le soutien du projet ‘’FishGov 2’’ de gouvernance des pêches, aussi bien ceux qui sont très avancés dans les ratifications des textes internationaux (Égypte, Afrique du Sud), que ceux qui en sont au stade élémentaire (Érythrée, Soudan du Sud…). Les contributions des experts et des responsables des pêches des États membres aideront l’UA-BIRA à élaborer un guide et à conduire des plaidoyers bénéfiques à tous.»

Mengue M’Adzaba Maganga Pulchérie, Directeur des Pêches du Gabon 

«Écouter davantage les experts»

«La démarche isolée dans l’application des textes de pêche ne saurait profiter à aucun de nos pays, parce qu’il s’agit d’une problématique transversale et transnationale ; le Gabon a intégré cette perspective dans sa gestion de la ressource. Nos États doivent viser, dans les instruments mondiaux, ceux qui cadrent avec l’utilisation rationnelle de nos ressources, et mettre ensemble nos efforts pour les applique. Les politiques doivent davantage écouter les experts, pour une domestication efficiente des législations internationales.»

Kwame Mfodwo, juriste consultant, spécialiste des pêches 

«Pour une Déclaration des Chefs d’État» 

«Il n’y a pas encore une structure continentale pour systématiser l’application des textes internationaux à toutes les étapes, depuis la signature, la ratification, l’adoption, jusqu’à l’incorporation dans les dispositifs nationaux. C’est sur cette voie que nous voulons déboucher après cette concertation. La démarche doit être à la fois technique, politique, formelle, et informelle. Nous devons tenir compte de la pression extérieure qui ralentit ce processus en Afrique, et développer des stratégies appropriées, en mettant en face des dirigeants les intérêts actuels et futurs de leurs propres pays. Le processus sera mieux impulsé s’il est endossé par une Déclaration des Chefs d’État à une rencontre de l’Union Africaine.»

Abdelouahed Benabbou, Secrétaire Exécutif de la COMHAFAT

«Nécessité de parler à l’unisson»

«Nous allons poursuivre l’encouragement et l’accompagnement des États dans la ratification et surtout l’application des textes sur la pêche, de même que les efforts pour parler à l’unisson dans les instances internationales. Sans oublier la promotion du partage des expériences  et des résultats de la recherche. Toutefois, il est hautement nécessaire, voire indispensable, de bénéficier d’une volonté politique ferme et d’une implication forte des États.»

Soobaschand Sweenarain, Conseiller Technique de ECOFISH (Afrique Est, Australe et Océan Indien)

«Sélectionner les textes qui nous conviennent» 

«Nous devons améliorer nos stratégies pour accélérer la ratification et l’appropriation des textes internationaux de la pêche dans nos pays. Il est important qu’au-delà des dirigeants, toutes les parties prenantes soient sensibilisées voire conscientisées sur l’intérêt de ces textes. Nous devons aussi évaluer ces textes, pour sélectionner ceux qui nous conviennent, ou bien proposer les modifications qui nous semblent pertinentes.»

Emmanuel Sambuni Kasereka, Secrétaire exécutif a.i. de la COREP (Commission des pêches d’Afrique Centrale) 

«Pour un plaidoyer de proximité»

«L’interaction est indispensable entre les organisations régionales de pêche et les instances de décision des pays. Il ne s’agit pas seulement des membres de gouvernement, mais aussi des parlementaires, des universitaires, des élus locaux, des acteurs du secteur privé ou de la société civile, sans surtout oublier les missions diplomatiques. D’où la nécessité d’un lobbying incessant, et d’un plaidoyer de proximité dans des cadres parfois informels.»

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